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L’open source avance : affaire Jacobsen contre KATZER

J’ai eu connaissance courant août d’une jurisprudence de la Cour d’Appel Fédéral des Etats Unis (United Satates Court of Appeals for the Federal Circuit). Cette décision dite Jacobsen contre Katzer (13 août 2008) concerne directement les logiciels dits libres ou Open source. Des petits malins ont appelé ça FLOSS pour Free / libre Open Source Software, la terminologie française évitant l’ambigüité héréditaire du mot « free ».

Car un FLOSS est avant tout libre et non gratuit par essence. Certains sont de plus encadrés par des licences d’utilisation libres mais qui peuvent s’avérer particulièrement contraignantes (surtout pour les COPYLEFT) et qui s’avèrent porteuses de nombreuses obligations à la charge de l’utilisateur.

En l’espèce, nous avons à faire à une « artistic licence« . En effet, le sieur Jacobson, auteur d’un logiciel à destination des amateurs de trains miniatures, a décidé de diffuser son programme (JMRI) gratuitement mais sous la protection de cette licence libre.
Vous l’aurez compris, le méchant dans l’histoire est la société MATTHEW KATZER and KAMIND ASSOCIATES, INC. (KAM Industries), yeahh ! J’ai beau savoir que les sociétés françaises n’ont rien à envier aux américaines, il faut admettre que des noms comme celui-ci, ça a de l’allure).

Enfin, ce qui a moins d’allure c’est qu’ils ont commercialisé un logiciel à destination du modélisme ferroviaire incluant et incorporant certaines parties du logiciel du Sieur Jacobsen. Ce dernier n’a pas apprécié de retrouver son oeuvre ainsi commercialisée au mépris le plus total de l’Artistic License et a donc assigné en contrefaçon ( copyright infringment dans le texte) KAM Industries.

Or, mettons fin à ce suspense insoutenable, la Cour a donné raison à notre ami le gentil auteur !
Alors les lecteurs qui en ont assez lu peuvent s’arrêter là car le reste de l’article sera un peu plus ardu. Ceux qui ont saisi l’importance capitale de la décision peuvent continuer car pour ne rien vous cacher on peut certainement parler d’un arrêt qui fera jurisprudence aux Etats Unis même si le degré juridictionnel de la décion n’est pas suffisant pour cela selon les commentateurs.
Reste que le principe juridique qui en ressort vient de faire avancer le monde Open Source d’un grand pas. Voyons pourquoi…

Tout d’abord, la validité de Public License est affirmée par la Cour ce qui ne fait pas de mal. Ensuite la décision fait état d’une belle et grande analyse du texte de la licence ainsi que de son mécanisme juridique profond dont on sait combien il est original en matière d’Open Source.
En effet le problème était un problème de pur droit qui touchait aux moyens d’actions offerts à l’auteur en cas de non respect de la licence.

Le choix était simple, soit on estimait comme le faisait des jurisprudences antérieures que seule une action en responsabilité contractuelle était ouverte. Soit on estimait qu’une action en contrefaçon était ouverte à l’auteur contre l’utilisateur indélicat du logiciel.

Vous allez me dire : « Qu’est ce que cela change ? »TOUT ! Cette distinction revient à reconnaître le pouvoir coercitif des licence libres, c’est-à-dire, pour résumer, leur efficacité.
En effet, depuis quelques années que j’ ai des discussions au sujet des licences open source, il y a souvent un argument qui revient dans la bouche de certains de mes confrères avertis :  » Où est le dommage dans la violation de cette licence puisque le logiciel est fourni à titre gratuit ? ». Cela revient à dire que ces licences ne servent à rien car leur violation ne pourrait recevoir aucune sanction pécuniaire au titre d’un contrat à titre gratuit.

C’est exactement l’argument du défendeur, ce même argument qui a permis de l’emporter devant la cour de District ( la Cour d’Appel pour simplifier). Cette dernière a considéré que les contreparties imposées par l’ Artistic License à l’utilisateur étaient des obligations contractuelles et non des conditions suspensives ( en terme de droit français) de bénéfice de la licence.

La Cour d’Appel ne donne pas du tout la même interprétation car elle va beaucoup plus loin dans l’analyse de ces contreparties demandées qui sont en résumé :
- le respect du droit de paternité de l’auteur original;
- la traçabilité des différents contributeurs et des modifications apportées ;

La cour relève aussi le terme « Provided that » de la licence. On retrouve ce terme dans de nombreuses licences libres car elle prend place dans la phrase qui conditionne l’ensemble de l’acceptation des droits par le licencié. Dans son analyse, la Cour insiste sur le fait que « the rights to copy, modify, and distribute are granted  » provided that » the conditions are met », c’est à dire le respect des obligations que nous venons d’évoquer rapidement.

Rappelons que le but des licences libres copyleft est de mettre en place un système juridique qui diffuse le libre de manière virale. L’utilisation du logiciel est donc conditionnée à l’acceptation préalable par celui qui veut l’utiliser qu’il respectera les contreparties imposées par la licence. Il s’agit donc bien pour la Cour d’une condition pour bénéficier de la licence et non d’une simple question d’obligations à respecter par le licencié. En résumé la Cour antérine le mécanisme créé et imaginé à l’occasion de la GNU GPL version 1 et depuis repris par toutes les licences.

Ce mécanisme est donc simple puisque c’est l’utilisateur qui s’engage à respecter les conditions (donc à jouer le jeu du libre) ou à ne pas accepter la licence libre ce qui se traduit par la non utilisation du logiciel…

Qui plus est la Cour reconnait qu’il y a bien un préjudice économique, pour l’auteur ce qui est une condition que le droit français ne connaît pas puisque le droit moral peut être seul concerné. Au pays du copyright, la contrefaçon doit faire perdre de l’argent pour être punissable. Mais la Cour fait preuve d’un pragmatisme tout bonnement rafraîchissant en ne s’arrêtant au caractère gratuit du logiciel. Elle relève qu’il existe bien une contrepartie même si elle n’est pas en dollars.

Notons ces mots choisis : « Copyright licenceses are designed to support the right to exclude; money damages alone do not support or enforce that right. The choice to exact consideration in the form of compliance with the open requirements of disclosure and explanation of changes, rather than as a dollar-denominated fee, is entitled to no less legal recognition. »

La Cour conclut en faisant le constat que l’incorporation des sources au sein de son logiciel commercial par KAM Industries dépasse manifestement les conditions d’utilisation imposées par la licence. Si le défendeur ne les acceptait pas, il devait passer un accord spécifique avec l’auteur comme il y était invité par la licence. En ne faisant pas cela, il a porté préjudice à l’auteur et à l’ensemble des utilisateurs du projet en les privant d’informations potentiellement utiles pour le succès de futurs développements du code source. La Cour déclare qu’il s’agit d’un but économique significatif pour l’auteur, que la loi doit protéger et faire respecter : « (…) the terms of the Artistic License are enforceable copyright conditions (…) ».

La cause, l’idéologie, le pourquoi du mouvement libre est donc reconnu comme digne de protection au titre de la loi et plus particulièrement punissable sur le fondement de la contrefaçon, et non comme un simple artifice contractuel.

C’est une consécration pour le monde du libre et un message lancé : en ne respectant pas les conditions imposées par une licence libre vous commettez une contrefaçon.

Me voilà rassuré car j’affirme cela depuis des années à mes étudiants. Ouf ! :)

Gérald SADDE – Avocat du grand Gnou -

Creative Commons License
Affaire Jacobsen vs Katzer by Maître Gérald SADDE est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d’Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France.
Les autorisations au-delà du champ de cette licence peuvent être obtenues à http://www.bc-avocats.com/membre-Roche-A.htm.

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3 comments to L’open source avance : affaire Jacobsen contre KATZER

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