Thèmes

Loto tag

SHIFT Avocats

Pour vos oreilles !

Découvrez la playlist Good Rock avec Saez

Violation de contrat : lorsque la preuve du préjudice devient secondaire

banana hazard © Qilux

La rédaction d’un contrat de licence de logiciel implique (comme tout contrat d’ailleurs) des obligations « de faire » (livrer, installer, payer, garantir etc.) et des obligations de ne pas faire. Ces dernières sont souvent extrêmement nombreuses dans un contrat de licence limité à l’utilisation. En effet, même si en matière de droit d’auteur, tout ce qui n’est pas concédé expressément ne peut l’être implicitement, il n’en demeure pas moins que l’éditeur préfère que les choses soient parfaitement claires avec le licencié. On va donc retrouver une longue liste d’interdictions qui sont parfois d’ailleurs plus des rappels de la loi, parfois expriment le choix d’une option laissée par la loi (la correction des anomalies par exemple), ou encore délimitent les usages interdits du logiciel (interdiction de donner accès au logiciel à un tiers par exemple).

Mais au-delà de ces interdictions explicites il reste souvent une zone de non dit qui relève de la simple logique. Si j’écris que « La licence octroie le droit de reproduire, charger et exécuter le logiciel sur un  unique serveur physique ou virtuel » cela veut dire a contrario qu’il est interdit au licencié d’installer le Logiciel sur 3 serveurs différents, mais aussi sur un poste autre qu’un serveur (ce qui peut sous-entendre que la notion de Serveur soit parfaitement définie). Ces interdictions implicites sont autant d’obligations de ne pas faire. D’ailleurs j’ai souvent tendance à penser que l’obligation de bonne foi dans les relations contractuelles est en fait une obligation de ne pas faire n’importe quoi.
Ce raisonnement n’est pas aussi évident qu’il y paraît puisque la Cour de cassation vient de se prononcer sur la question (Cass. 1re civ., 14 oct. 2010, n° 09-69.928, F-P+B+I). Dans cette affaire la société Temco systems demandait réparation à la société Thalès Alcatel pour avoir outrepassé les limites fixées par la licence prévoyant que l’exploitation des logiciels devait se faire  sur une et une seule unité centrale de traitement dont le modèle exact était désigné au contrat : IBM 3084- Q. Or, alors que les faits semblaient totalement constatés et la violation du contrat reconnue par les magistrats d’appel, ces derniers déclarent ne pas y avoir lieu à réparation faute de preuve d’un préjudice pour l’éditeur. En effet, le contrat prévoyait en fait que la licence était octroyée pour un prix forfaire et ne prévoyait pas d’augmentation de tarif en cas de modification de la puissance de la machine. Pour autant la substitution de machine d’installation était interdite, sans information préalable par le licencié à tout le moins. Or, la Cour de Cassation a estimé que cette interdiction implicite était une obligation de ne pas faire !
Cette qualification est loin d’être indifférente puisqu’elle ouvre droit au mécanisme de l’article 1145 du Code civil «si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention». Mais jusque là cette disposition était uniquement interprétée comme dispensant celui subissant le dommage d’avoir à effectuer une mise en demeure avant de pouvoir prétendre à des dommages et intérêts. La Cour de Cassation va bien au-delà en s’appuyant sur le texte pour reconnaitre que la violation d’une obligation « de ne pas faire » dispense en fait de constituer la preuve d’un quelconque préjudice. La constatation de la violation suffit donc selon la Cour ce qui risque d’être lourd de conséquences dans de nombreux contentieux. L’arrêt n’a pas fini de faire couler de l’encre, notamment sur la question du montant des dits dommages et intérêts qui en l’absence de preuve prennent furieusement l’allure de dommages et intérêts punitifs.
Mais ce qui amène ma réflexion du jour est surtout la conséquence d’une telle évolution en matière de logiciel libre.   Dans une licence libre, vous avez en fait une colossale obligation « de ne pas faire » à mon sens.  Il s’agit de l’obligation de ne pas violer les conditions de la licence qui vous autorisent à bénéficier des droits qu’elle vous confère. Un exemple grossier de ce que le licencié ne peut pas faire : le fait de distribuer une version modifiée d’un logiciel sous GNU-GPL, sous une forme compilée et sans offrir un accès au code source modifié. Le licencié qui s’autorise une telle violation viole à mon sens une obligation « de ne pas faire ».
Or, en cas de violation d’une licence libre, le défendeur a souvent beau jeu de prétendre que la violation de la licence, si elle est avérée, n’entraîne aucun préjudice pour l’auteur du logiciel distribué le plus souvent totalement gratuitement par ailleurs (sauf cas de double distribution / dual licensing du logiciel dans une version commerciale payante). Et il faut bien admettre que le préjudice peut-être difficile à établir (voir cependant le travail des magistrats américains sur cette question dans l’affaire JACOBSEN vs. KATZER). Cet arrêt de cassation pourrait bien largement faciliter la sanction de la violation des licences libres dans le  cas où une action basée sur la contrefaçon ne pourrait pas être retenue.

Gérald SADDE – Avocat obligé de faire
  • LinkedIn
  • Viadeo
  • Facebook
  • Twitter
  • Furl
  • Google Reader
  • Share/Bookmark

1 comment to Violation de contrat : lorsque la preuve du préjudice devient secondaire

  • Juriste_Nox

    Je profite d’un passage par votre blog pour signaler que cette interprétation de 1145 avait déjà été faite par la première chambre civile dans un arrêt du 10 mai 2005 (n° 02-15.910, RTD civ 2005 p594), en matière de clause de non concurrence (la question était de savoir si la violation d’une clause de non concurrence donnait lieu à des dommages et intérêts de façon systématique ou s’il fallait se prévaloir d’un préjudice).

    Cette extension est une bonne chose pour la protection de nos chères licences libres en tout cas !

Leave a Reply

 

 

 

You can use these HTML tags

<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

Get Adobe Flash playerPlugin by wpburn.com wordpress themes